mardi 11 novembre 2014

LE SAVIEZ-VOUS?



Les premières représentations des œuvres de Wagner à Paris ont soulevé une vague de critiques violentes. Parmi les quelques rares admirateurs du grand compositeur : Charles Baudelaire qui fut immédiatement enthousiasmé par cette nouvelle musique. Voici un extrait d’une lettre que Baudelaire envoya à Wagner après avoir assisté à une représentation de l’ouverture de Lohengrin à Paris en février 1860 : 


« Le lecteur sait quel but nous poursuivons : démontrer que la véritable musique suggère des idées analogues dans des cerveaux différents. D’ailleurs, il ne serait pas ridicule ici de raisonner a priori, sans analyse et sans comparaisons ; car ce qui serait vraiment surprenant, c’est que le son ne pût pas suggérer la couleur, que les couleurs ne pussent pas donner l’idée d’une mélodie, et que le son et la couleur fussent impropres à traduire des idées ; les choses s’étant toujours exprimées par une analogie réciproque, depuis le jour où Dieu a proféré le monde comme une complexe et indivisible totalité.


La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles ;    L'homme y passe à travers des forêts de symboles qui l'observent avec des regards familiers,comme de longs échos qui de loin se confondent dans une ténébreuse et profonde unité, vaste comme la nuit et comme la clarté,    les parfums, les couleurs et les sons se répondent.      

 Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, doux comme les hautbois, verts comme les prairies,     et d'autres, corrompus, riches et triomphants, ayant l'expansion des choses infinies,    Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens  qui chantent les transports de l'esprit et des sens. 

 Je poursuis donc. 

Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une de ces impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues, par le rêve, dans le sommeil. Je me sentis délivré des liens de la pesanteur, et je retrouvai par le souvenir l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts. Ensuite je me peignis involontairement l’état délicieux d’un homme en proie à une grande rêverie dans une solitude absolue, mais une solitude avec un immense horizon et une large lumière diffuse ; l’immensité sans autre décor qu’elle-même. Bientôt j’éprouvai la sensation d’une clarté plus vive, d’une intensité de lumière croissant avec une telle rapidité, que les nuances fournies par le dictionnaire ne suffiraient pas à exprimer ce surcroît toujours renaissant d’ardeur et de blancheur. Alors je conçus pleinement l’idée d’une âme se mouvant dans un milieu lumineux, d’une extase faite de volupté et de connaissance, et planant au-dessus et bien loin du monde naturel. » 

Lettre à Wagner. Avril 1861